Enjeux et impacts sur les compétences locales

30/09/25

Tous les territoires qui ont participé au programme Collectivités et pollutions industrielles ont été impactés par un incident, un accident ou par des rejets ayant modifié les conditions environnementales et donc l’exposition des personnes. En réaction, les collectivités se mobilisent plus ou moins facilement selon les domaines. Pour l’eau potable ou les sols pollués, leur prise de conscience est réelle. En revanche, dans les domaines des déchets, de l’assainissement ou de l’agriculture urbaine, la mobilisation est moins évidente.

CE QU’IL FAUT RETENIR

>> Bien que n’ayant pas de compétence directe en matière de santé, le maire est concerné car la protection des populations constitue un élément du maintien de l’ordre public, au même titre que la sécurité. Dès lors qu’il a connaissance d’une exposition, un maire doit agir.

>> Les contaminations ont des impacts sur les missions des collectivités parmi les plus essentielles : la distribution de l’eau potable, la protection des milieux, la gestion du foncier et des déchets, etc. Elles entravent le bon fonctionnement des services publics et la mise en œuvre des politiques locales.

>> L’identification insuffisante des sols pollués complique la réhabilitation des friches industrielles : cela entraîne des choix inadaptés et des coûts de dépollution élevés, difficiles à supporter pour les collectivités.

>> La production et distribution d’eau est une compétence essentielle des collectivités, mais très sensibles aux pollutions industrielles. La pollution par les PFAS illustre bien les enjeux : découverte en 2022 dans le sud lyonnais et en Savoie, elle s’étend depuis à d’autres territoires. Les collectivités, souvent prises de court, doivent gérer seules l’urgence et élaborer des plans d’action pour garantir l’eau potable et la continuité du service public.

>> En l’absence de mécanismes de financement adéquats, les collectivités assument une part importante des mesures à mettre en place.

 

1. Contexte 

> Des sources de pollutions multiples et souvent méconnues
Sur un territoire, la pollution industrielle ne provient généralement pas d’un seul site, mais de plusieurs installations. Celles-ci peuvent avoir émis, ou émettre encore, diverses substances à des périodes différentes. Sur certaines zones, le nombre de sites est considérable : plus de 200 sites sur le territoire de la métropole de Rouen, 60 à Fos-sur-Mer, 86 à Strasbourg, 233 pour Lyon Sud (Lyon, Saint-Fons, Oullins-Pierre Bénite, Feyzin), 77 au Havre-Gonfreville-l’Orcher. Ces chiffres ne prennent pas en compte les ICPE soumises à déclaration qui ne sont généralement pas recensées.
Dans ces situations, l’identification et l’imputation des polluants selon les émetteurs peut être un facteur de complexité nécessitant une approche historique des émissions, des substances et de leurs volumes.

> L’importance des passifs environnementaux
De façon générale, les passifs environnementaux et leurs conséquences sanitaires à moyen et long terme, sont peu pris en compte, bien que systématiquement évoqués par les collectivités. Le passif, les rémanences de pollutions anciennes et l’absence de solutions économiquement acceptables pour y remédier sont des questions récurrentes. Il a été rappelé les mécanismes d’accompagnement et de financement de la dépollution des sites orphelins opérés par l’ADEME sur lesquels les collectivités peuvent s’appuyer.
Notons par ailleurs, qu’une pollution non traitée va amplifier ses conséquences à long terme en se dégradant en sous-produits aux effets parfois plus délétères et en se diffusant dans les sols ou les nappes voisines.

2. Le maire : au cœur des enjeux de santé publique

La politique de santé relève de la responsabilité de l’État et des établissements de santé, conformément aux dispositions du code de la santé publique. Cette politique est territorialisée au niveau des agences régionales de santé et axée sur le curatif, la prévention étant insuffisamment développée. A l’échelon local, les préoccupations de protection de la santé se manifestent à travers la notion de maintien de l’ordre public, par le biais de la police administrative. L’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, fait référence à la trilogie sécurité, salubrité, tranquillité mais aussi aux « fléaux calamiteux » tels que les catastrophes, les épidémies mais aussi les pollutions. Il donne au maire des pouvoirs propres en matière de police qui peuvent donc s’appliquer dans certains cas à la pollution. Aujourd’hui la protection contre les pollutions doit être considérée comme un élément de maintien de l’ordre public au même titre que la sécurité. On peut même parler d’ordre public sanitaire. C’est un fondement pour disposer de moyens d’actions.

En matière de prévention, certains sujets sont sensibles. Par exemple, la prise en compte des personnes vulnérables dans les politiques d’aménagement du territoire ou d’implantation d’établissements (crèches, écoles, EPAHD, etc.) engage la responsabilité des collectivités au regard de la protection de la santé publique.
Il existe un paradoxe entre la responsabilité du maire sur sa compétence d’hygiène et salubrité et l’absence de levier pour l’activer. Le maire est donc contraint d’agir sur les cibles (fermetures des jardins potagers, mesures de protection sur les crèches, les écoles, etc.) et est complétement dépendant des services de l’État pour agir à la source (police de l’environnement).

2. Distribution de l’eau potable : une compétence fragilisée

Parmi les compétences des collectivités, la production et la distribution d’eau potable constituent une mission essentielle, indispensable à la vie des populations et au développement de leurs activités. Mais la production de l’eau destinée à la consommation humaine est aussi l’une des activités des collectivités parmi les plus sensibles aux pollutions d’origines industrielles, qu’elles soient accidentelles ou chroniques.
En cas de distribution d’une eau non conforme aux exigences de qualité, la collectivité peut voir sa responsabilité engagée. Aussi, il lui appartient de prendre toutes les mesures pour surveiller et contrôler la qualité des eaux qu’elle distribue et mettre en place des solutions correctives ou de substitution en cas de pollution.

La pollution par les PFAS montre l’extrême vulnérabilité des ressources en eau exposées à ce type de pollution et, de toute évidence, pour un temps long. Cette pollution place en première ligne les collectivités qui ont et auront à mettre en œuvre des dispositifs techniques onéreux pour dépolluer les eaux contaminées et les rendre conformes aux normes. L’inventaire des nappes contaminées n’est pas dressé à ce jour et le nombre de collectivités mises en difficulté dans leur production d’eau potable est difficile à évaluer.
Par exemple, le site de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes fait état au 1er février 2025 de six stations pour lesquelles la non-conformité est qualifiée et de 5 stations “à confirmer”, exposant potentiellement près de 200 000 habitants à des teneurs en PFAS supérieures aux seuils sanitaires. Par ailleurs, huit stations « non conformes » ont d’ores et déjà fait l’objet de propositions de solutions techniques : traitement par charbons actifs ou modification de la contribution des ressources (dilution, transfert etc.)

Pour certaines collectivités, le coût des dispositifs à mettre en place pour rendre l’eau distribuée conforme aux exigences réglementaires s’exprime en millions d’euros et générera des coûts de fonctionnement importants (maintenance des dispositifs de filtration, charbons actifs, évacuation et élimination des PFAS dans des filières spécialisées, etc.)

3. Projets d’urbanisme et gestion du foncier : des enjeux considérables

L’absence de valeurs définies à l’échelle nationale est une des principales sources de difficultés pour l’action des collectivités. Dans ce contexte, il faut nécessaire d’acquérir des données locales. L’information sur l’état des sols est essentielle en matière d’aménagement et de construction, de gestion du foncier, de droit des sols et pour la délivrance des autorisations d’urbanisme.

Les échanges au sein des groupes de travail d’AMARIS ont montré des situations de collectivités très contrastées quant à leur connaissance des sites et sols pollués de leur territoire. Si certaines collectivités disposent d’un inventaire exhaustif, géo localisé et renseigné sur la qualité des pollutions des sols, ou réalisent/imposent des investigations afin de connaitre et repérer les sites et sols pollués, d’autres collectivités s’en remettent aux informations des bases de données nationales accessibles depuis le site CASIAS.
Disposer d’une information actualisée, référencée et qualitative sur les sites et sols pollués est indispensable pour la maîtrise de l’urbanisme d’une collectivité. En l’absence de cette information, les collectivités ne peuvent pas agir et leur responsabilité peut être engagée.

Sur ce point on peut citer la loi ALUR (2014) qui permet de faire le lien entre le Code de l’Environnement et le Code de l’Urbanisme. L’introduction de l’information sur les anciennes industries (CASIAS) et sur les sites pollués connus (SIS) permet un transfert de responsabilité du maire vers le porteur de projet. Mais cela pose la question de l’exhaustivité des données et de leurs précisions (données souvent en point et non référencées selon les parcelles cadastrales). Là encore, la conservation de la mémoire du passif industriel et l’exhaustivité des bases de données (CASIAS, SIS) sont très différentes d’un territoire à l’autre.

Au-delà du transfert de responsabilité se pose également la question des usages sur un site pollué, renvoyant à la question de la santé publique. De nombreuses collectivités ont ainsi exprimé des interrogations concernant leur responsabilité sur les activités liées aux jardins partagées et des inquiétudes sur les conséquences d’une exposition involontaire qui pourrait altérer la santé des usagers. Pour les jardins existants, il s’agit pour elle d’engager une démarche de connaissance afin de prendre des décisions si nécessaires. Pour les projets nouveaux, la difficulté réside dans le fait de déterminer un référentiel pour encadrer les pratiques.

4. Pollution de l’air : peu de compétences, beaucoup d’interpellations

La « qualité » de l’air focalise, en première approche, l’attention.
Compte tenu de leur échelle d’action et de leurs compétences (urbanisme, organisation des transports et de la mobilité, schéma régional climat air énergie, plan climat air énergie territorial, etc.), les collectivités sont des acteurs importants pour agir en faveur de la qualité de l’air. A ce titre, elles sont étroitement associées aux programmes d’actions, tels que les Plans de protection de l’atmosphère (plans obligatoires pour les agglomérations de plus de 250 000 habitants et zones exposées aux dépassements de valeurs limites) qui s’articulent avec d’autres démarches incitatives ou réglementaires en faveur de la qualité de l’air : plans de mobilité, plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) etc. A noter que les PPA se concentrent avant tout sur les émissions de la circulation automobile et du chauffage au bois. Au-delà de ces actions spécifiques, les collectivités ne disposent pas de compétences pour agir directement sur les pollutions atmosphériques d’origines industrielles. Le sujet de la « qualité de l’air » est pourtant une préoccupation majeure des habitants et des associations, qui se retournent naturellement vers les élus pour être informés.