« Il n’existe pas de réglementation spécifique sur la pollution des sols »

01/10/25

Intervention d’Annabelle Austruy (chargée de missions « Sols-Ecotoxicité » à l’Institut Ecocitoyen) sur les sols pollués, les difficultés d’aménagement et les sources de contamination

 

Parole d’experte / sols

Journée de lancement du programme Collectivités et Pollutions industrielles, 22/01/2022, Lyon.

 

EN RÉSUMÉ 

>> Tous les types de contamination des sols (diffus ou ponctuels) pourront avoir un impact sur la biosphère et directement ou indirectement, avoir un effet sur la santé humaine.

>> À la différence de l’eau ou de l’atmosphère, il n’existe pas de réglementation spécifique sur les sols pollués, mais des processus de gestion complexe visant à réduire le risque d’exposition aux contaminants.

>> Il est nécessaire d’améliorer la mesure de la qualité atmosphérique
pour l’adapter aussi aux besoins des décideurs.

>> Les actions de réhabilitation/remédiation sont onéreuses et peu compatibles avec les moyens limités des collectivités.

 

SOLS POLLUES : DIFFICULTÉS D’AMÉNAGEMENT ET SOURCES DE CONTAMINATION

Les sites et sols pollués concernent la plupart des collectivités

Le territoire français porte un héritage de près de 200 ans d’activités industrielles et minières. Dans un contexte de désindustrialisation, ces 50 dernières années ont connu l’arrêt de nombreuses exploitations, ce qui explique en partie les quelques 250 000 sites potentiellement pollués répertoriés au sein de la base de données BASIAS (anciens sites industriels et activités de service). Dans le même temps, l’urbanisation croissante a provoqué l’augmentation des pressions démographiques et foncières.

La conjugaison de ces deux phénomènes a créé des enjeux particulièrement forts sur la reconversion des friches industrielles en milieu urbain. L’Ile-de-France, la vallée du Rhône, la région marseillaise ou le Nord de la France sont particulièrement marqués par ces situations.

Pour se développer, tout en respectant les objectifs de préservation de l’environnement (zéro artificialisation des terres, etc.), les collectivités devront tôt ou tard réhabiliter ces sols dégradés pour réaliser leurs projets dans les meilleures conditions sanitaires.

Un risque pour l’environnement et la santé

La dégradation des sols, qui est la diminution ou la disparition de leurs capacités à remplir une ou plusieurs fonctions, est avant tout due à leurs contaminations chimiques. Ces contaminations sont classées selon deux grands types :
> Les contaminations diffuses, considérées comme peu intenses et généralisées, dues aux dépôts atmosphériques, aux traitements agricoles, à l’irrigation, aux dépôts de sédiments ou des sources plus naturelles comme des incendies de forêt.
> Les contaminations ponctuelles, qui sont des sources de contamination élevées et très localisées, causées par les sites industriels et miniers, les décharges, les stockages de produits toxiques et les rejets d’effluents.

Quel que soit le type de contamination, les polluants du sol peuvent avoir un impact sur l’ensemble de la biosphère par effet de transfert, et engendrent ainsi des risques environnementaux et sanitaires. On distingue :
> Les contaminants organiques : hydrocarbures, solvants, chlorés, fluorés dioxines, polychlorobiphényles (PC B), composés azotés, etc. Certains d’entre eux sont exclusivement d’origine humaine (PCB, dérivés bromés). La plupart est considérée comme biodégradable. Leur toxicité dépendra non seulement de leur concentration dans le sol, mais aussi de la capacité de rétention dans le sol et de leur persistance.
>Les polluants inorganiques :  métaux et métalloïdes. Ils sont souvent d’origine naturelle, mais les apports et enrichissements de surface les plus importants sont d’origine humaine. Ils ne sont pas biodégradables, et présentent une grande stabilité. Ils sont facilement mobilisables dans les sols, et vont donc interagir avec les constituants du sol. Leur toxicité, là encore, dépendra non seulement de leur concentration, mais aussi de leur forme et spéciation chimiques dans le sol.

Les principaux contaminants présents dans les sites et sols pollués (SSP) sont en majorité des hydrocarbures (33 % des SSP concernés), auxquels il faut ajouter les hydrocarbures chlorés (17 % des SSP) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (15 % des SSP). Les métaux sont également largement présents (25 % des SSP).

Ces types de pollution créent un risque pour l’environnement et la santé des habitants. La gestion des sites pollués et la préservation des sols représentent donc un enjeu sociétal majeur.

Pourquoi parle-t-on de gestion des sites et sols pollués ?

Le problème de la contamination des sols se traite de façon particulière, comparé à d’autres milieux. Contrairement à l’atmosphère, qui est un milieu fluide et sans mémoire, le sol conserve – voire accumule – les polluants fixés aux éléments de la terre. On parle de milieu intégrateur. Un sol contaminé peut donc le rester longtemps, même si la source de polluants est supprimée, et constituer un risque pour les usagers et les riverains.

Pour résoudre ces situations, il faut connaître précisément l’état du milieu et décider de son devenir. C’est la raison pour laquelle on parle de « gestion » des sites et sols pollués. Ainsi, en fonction des contextes et des intensités de contamination, on pourra interdire de construire des habitations ou des écoles, ou on réduira les possibilités d’exposition en stabilisant la surface et en destinant le sol à un usage commercial (parkings, magasins).

Enfin, on pourra choisir d’éliminer tout ou partie de la pollution par des actions de réhabilitation et de remédiation. On est donc bien dans un cadre de gestion : le risque est modulé en fonction des contextes et des usages.

C’est cette notion de gestion qui donne au sol pollué toute sa complexité, car de nombreux facteurs interviennent dans l’évaluation du risque associé à sa contamination : le type et la teneur en polluants, leur capacité à migrer dans d’autres milieux, etc. De plus, un sol peut être contaminé par sa roche mère, et contenir ainsi des teneurs naturelles en polluants. Un haut niveau de « polluants » dans un sol peut s’expliquer et se traduire de différentes manières.

Une réglementation largement insuffisante pour résoudre les situations

La gestion des sites et sols pollués s’appuie sur une réglementation qui a évolué depuis une trentaine d’années, dans le sens d’une meilleure prise en compte de la connaissance des inventaires dans les études réalisées et lors de l’instruction des permis de construire.

Les sites et sols pollués s’inscrivent dans le cadre réglementaire relatif aux déchets et aux ICPE. Ils dépendent également de la loi Barnier et de la mise en application du principe pollueur-payeur. La connaissance a, par ailleurs, progressé avec la loi  ALUR (2014). Cette loi a institué les secteurs d’information sur les sols (SIS ), permettant ainsi de lister les différents sites et sols pollués et de territorialiser les inventaires.

Au niveau européen, il est question d’une directive cadre depuis plus de 15 ans. Après plusieurs échecs, elle est de nouveau proposée aujourd’hui, avec des objectifs de protection et de restauration des sols visant zéro pollution avant 2050. Ces objectifs demeurent flous et difficiles à tenir. Mais il n’existe pas de réglementation spécifique sur la pollution des sols, ni de valeurs « seuil » pour déclarer si un sol est contaminé ou non. Pour pouvoir déterminer une contamination, on se base sur un niveau de fond (aussi nommé « bruit de fond »), qui consiste à connaître la teneur en polluants sur les sols avoisinants et à les comparer à celle du sol étudié. Il est variable en fonction des situations et des méthodes employées pour le déterminer, et implique des opérations rigoureuses et coûteuses.

Une méthodologie de gestion complexe à mettre en œuvre

La méthodologie vise à maîtriser les sources et les impacts, puis à définir des objectifs de réhabilitation. Elle repose sur 3 principes :
> La détermination de la source de pollution primaire et secondaire : types de polluants, spéciation chimique, interférence avec le sol, etc.
>La définition des voies de transfert (cours d’eau, nappes souterraines, envols de poussière dans l’atmosphère, transfert par la biomasse végétale ou animale).
> La connaissance des cibles, des impacts environnementaux et sanitaires.

Sa mise en œuvre est complexe car elle comporte différentes étapes de définition, de validation du choix du site et de suivi des travaux, accompagnées d’enquêtes publiques, etc. Par ailleurs, elle implique de très nombreux acteurs des territoires : les services de l’État, les collectivités, l’exploitant.

Enfin, la connaissance des sites et sols pollués est très peu développée en France, ce qui ajoute à la difficulté de mise en œuvre de la méthodologie de gestion par les collectivités. Sur les 250 000 sites répertoriés en France, seuls moins de 20 000 sont recensés au sein de la base de données BASOL (sites et sols pollués ou potentiellement pollués). Un important travail reste encore à faire pour caractériser l’ensemble des sites potentiellement pollués et obtenir des informations précises et pertinentes.

 

CONCLUSION

La gestion des sites et sols pollués repose sur la connaissance que l’on peut avoir des contaminants, des sources et des transferts. La méthodologie de gestion est complexe à mettre en œuvre, tant sur le plan scientifique qu’administratif, et nécessite de disposer d’une expertise pointue dont les collectivités sont en général dépourvues.

La connaissance disponible est à la fois parcellaire et difficile d’accès. L’inventaire des sites et sols pollués, leur cartographie et leur caractérisation sont incomplets. À cela s’ajoute la difficulté d’accès à l’information et le manque d’expertise publique. La gestion des sites et sols pollués pose également (et surtout) des problèmes de financement, car les actions de réhabilitation sont onéreuses et peu compatibles avec les moyens limités des collectivités.

De nombreux points techniques sont encore à développer.

>> Les outils utilisés, pour connaître les sources de contamination et les interactions multiples qui régissent les sols, sont inadaptés à la complexité de ce milieu. Cela explique la difficulté de prendre en compte l’ensemble des composantes du milieu pour évaluer les impacts environnementaux et sanitaires des contaminations, ou la toxicité des cocktails de polluants et de leurs mécanismes d’action.

>> On rencontre également des difficultés dans la définition de critères ou d’indices d’évaluation communs aux sites et sols pollués pour qualifier l’état des sols ou leur niveau de dégradation, pour caractériser les risques cumulés environnementaux et sanitaires, ou pour contribuer à évaluer le niveau de vulnérabilité des territoires.

>> Il est nécessaire d’améliorer et d’uniformiser les méthodes et les outils de diagnostic, en faisant évoluer la réglementation actuelle, centrée sur les moyens, vers une réglementation d’objectifs. Il est nécessaire de disposer de référentiels communs pour les polluants métalliques et organiques et de définir des critères d’évaluation communs.

>> Enfin, il manque un échelon entre les collectivités et la recherche, avec des organismes dédiés afin de répondre aux contextes spécifiques locaux. Il faudrait créer des structures telles que les AASQA, pour permettre un développement de connaissances adaptées aux enjeux des territoires.